Coalition suisse pour la diversité culturelle
Schweizer Koalition für die kulturelle Vielfalt
Coalizione svizzera per la diversità culturale
Coaliziun svizra per la diversitad culturala

Dossiers / Literature

LA MISE EN ŒUVRE ET LE SUIVI DE LA CONVENTION DE L’UNESCO


La mise en œuvre et le suivi de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles

Perspectives d'action

Ivan Bernier
avec la collaboration de
Hélène Ruiz Fabri

INTRODUCTION

L’adoption de la Convention par la Conférence générale de l’UNESCO le 20 octobre 2005 a marqué la fin de la phase de négociation collective et rendu le texte définitif. Pour la suite, l’article 29 de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles stipule que « la présente convention entrera en vigueur trois mois après la date de dépôt du trentième instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion, mais uniquement à l’égard des États ou des organisations d’intégration économique régionale qui auront déposé leurs instruments respectifs de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion à cette date ou antérieurement ».

Ainsi, pour que la Convention pénètre dans le droit positif, il faut que les États expriment individuellement leur volonté d’être liés par elle, ce qui appelle les précisions suivantes :

1. Sur ce point, le droit international renvoie classiquement vers les droits nationaux la détermination des formalités à accomplir et procédures à respecter pour exprimer ce consentement individuel, ce qui explique que l’article 29 de la Convention retienne une formulation très large visant aussi bien la ratification que l’acceptation, l’approbation, voire l’adhésion. C’est donc chaque droit constitutionnel national qui détermine le ou les auteurs de la ratification, l’existence ou non d’un contrôle ou d’une information parlementaire, etc. Si l’initiative de proposer la ratification revient généralement à l’exécutif, puisque c’est classiquement lui qui est en charge des négociations internationales, la maîtrise qu’il a de la procédure de ratification, le contrôle parlementaire et démocratique dont elle est susceptible d’être l’occasion, le degré d’information qui peut exister à son propos, mais aussi les délais nécessaires pour compléter la ratification peuvent fortement varier d’un pays à l’autre.

2. Après l’adoption, la ratification représente l’enjeu consécutif immédiat. Il présente deux aspects juridiques : l’un, plutôt technique, concerne ce qu’on peut appeler la « date critique », l’autre, davantage politique, concerne ce qu’on peut appeler la « masse critique ».

Concernant la « date critique », ainsi que l’indique l’article 29 de la Convention, le seuil pour l’entrée en vigueur de la Convention est de 30 ratifications. Il est classique que les conventions multilatérales comportent l’exigence d’un nombre minimum de ratifications pour leur entrée en vigueur. Il s’agit d’un dispositif pragmatique destiné à éviter que l’ordre juridique international ne soit encombré de conventions à prétention universelle mais dont le petit nombre de ratifications montre en définitive qu’elles ne sont pas adéquates. Ce seuil oscille en général entre 30 et 60 ratifications. Celui de la présente Convention est modérément élevé, ce qui représente un choix délibéré des négociateurs, de façon à ce que l’entrée en vigueur ne soit pas indûment retardée. On notera à ce propos que la date d’entrée en vigueur (précisément : trois mois après le dépôt du trentième instrument de ratification) représente la date critique à partir de laquelle le texte recevra la plénitude de son efficacité juridique et deviendra à la fois applicable et opposable. Or, la date d’effet et d’opposabilité d’un texte peut être importante pour déterminer la manière dont il s’articule avec d’autres instruments juridiques (ainsi, la date d’entrée en vigueur de la Convention aura un effet sur l’application de l’article 20), étant précisé qu’une fois le texte en vigueur, la date d’effet pour tout Etat qui ratifie postérieurement sera celle définie par sa ratification ou son adhésion.

En ce qui concerne la « masse critique », il va de soi que si 30 ratifications, parmi lesquelles on ne comptabilise pas celle d’une organisation d’intégration économique régionale en surplus de celle de ses États membres (article 29 § 2), suffisent juridiquement pour l’entrée en vigueur, le degré d’opposabilité de la Convention, et donc le degré auquel elle devra être prise en compte à l’échelle internationale, sera proportionnel au nombre effectif de ratifications qu’elle réunira. En d’autres termes, plus le nombre de ratifications sera élevé, plus les objectifs de la Convention et les mesures prises pour les atteindre se trouveront légitimés. De ce point de vue, si le nombre de voix réuni lors de l’adoption de la Convention est incontestablement un élément positif, il ne détermine pas l’importance que la Convention peut prendre – ou ne pas prendre – dans les relations juridiques internationales. Seuls comptent, à cet égard, les ratifications et leur nombre. Les États-Unis, qui n’ont pas caché leur hostilité au texte, ne s’y trompent pas tel que le montrent certaines déclarations de responsables du Département d’Etat selon lesquelles ils pourraient tenter d’empêcher les États de ratifier la Convention1.

3. Sous réserve des contraintes imposées par le droit constitutionnel national, la célérité avec laquelle les États vont engager les procédures de ratification est évidemment un indicateur de l’importance qu’ils accordent effectivement à la Convention et de leur détermination à la mettre en œuvre rapidement. Cette mise en œuvre peut, ensuite, se faire à plusieurs vitesses, d’autant qu’elle peut et doit s’opérer à plusieurs niveaux, tant au plan national qu’international.

4. L’écoulement du délai de trois mois après le dépôt du trentième instrument de ratification marquera donc le début de la phase de mise en œuvre de la Convention. Le tout premier geste à poser en vue d’assurer cette mise en œuvre de la Convention consistera dans la mise en place des organes de la Convention, soit la Conférence des Parties et le Comité intergouvernemental, le secrétariat étant assumé par l’UNESCO. Trois questions se poseront alors qui seront de nature à influencer la mise en œuvre de la Convention, soit celle de la convocation de la première rencontre de la Conférence des Parties, celle de la constitution du Comité intergouvernemental et celle de l’organisation du programme de travail des organes en question. On reviendra sur ces questions dans la première partie de la présente note. Une fois les organes de la Convention en place, le problème du suivi proprement dit de la mise en œuvre de cette dernière par les Parties se posera. On fera à cet égard, la distinction entre le suivi politique et le suivi juridique. Le suivi de la Convention sera examiné dans la seconde partie de la présente note. Pour arriver à un résultat concret, c’est dès maintenant, comme on pourra le constater, qu’il faut commencer à agir.

I- LA MISE EN PLACE DES ORGANES DE LA CONVENTION ET L’ÉLABORATION DE LEUR PROGRAMME DE TRAVAIL

S’il sera possible aux Parties d’invoquer la Convention et de s’en prévaloir dès son entrée en vigueur, en particulier en ce qui concerne leurs mesures et politiques nationales, le sérieux et la cohérence de leurs intentions vis-à-vis de la Convention seront attestés par la prise des dispositions nécessaires à une mise en œuvre complète, ce qui comprend au premier chef la mise en place effective de l’infrastructure institutionnelle de la Convention dans la mesure où elle en garantit le fonctionnement multilatéral.

Étant donné que les instruments de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion sont déposés auprès du Directeur général de l’UNESCO et que le Secrétariat de l’UNESCO, aux termes de l’article 24 de la Convention, assume la tâche d’assister les organes de la Convention, on peut présumer qu’il reviendra au Secrétariat de faire connaître la date d’entrée en vigueur de la Convention et de prendre les mesures nécessaires en vue de convoquer une première rencontre de la Conférence des Parties et, dans la foulée, une première réunion du Comité intergouvernemental.

1. La Conférence des Parties

L’article 22 (2) de la Convention prévoit que la Conférence des Parties se réunit en session ordinaire tous les deux ans, si possible dans le cadre de la Conférence générale de l’UNESCO. À moins que la date d’entrée en vigueur de la Convention ne précède de près la tenue d’une session régulière de la Conférence générale (la 34e Conférence générale devant se tenir à l’automne 2007), il y aurait donc lieu d’envisager une convocation de la Conférence des Parties dès l’entrée en vigueur de la Convention si l’on veut éviter que la mise en œuvre de celle-ci soit indûment retardée et si l’on veut respecter l’exigence de l’article 23 qui précise que les membres du Comité intergouvernemental sont élus par le Conférence des Parties « dès que la Présente Convention entrera en vigueur ». La convocation de cette première réunion de la Conférence des Parties soulèvera par ailleurs inévitablement le problème des frais de déplacement des membres qui ne sont pas en mesure de les assumer. Compte tenu de l’importance que revêt cette première rencontre pour la mise en œuvre de la Convention, un effort particulier devrait être fait en vue de faciliter la participation de l’ensemble des membres qui auront déposé leurs instruments respectifs de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion.

La première tâche confiée à la Conférence des Parties est d’élire les 18 membres du Comité intergouvernemental (article 22.4 (a) et 23 (1)). L’élection en question est basée sur les principes de la répartition géographique équitable et de la rotation (article 23 (5) de la Convention). Il ne faut pas écarter la possibilité toutefois que la toute première réunion de la Conférence des Parties ne permette pas d’atteindre une répartition géographique équitable, compte tenu du fait que les 30 premiers membres à ratifier la Convention pourraient très bien ne pas être représentatifs de l’ensemble des régions. Faudra-t-il attendre alors qu’un nombre d’États suffisamment diversifiés pour assurer une représentation géographique équitable ait ratifié la Convention avant de procéder à l’élection des membres du Comité intergouvernemental ? Une telle exigence, nous semble-t-il, irait à l’encontre de la demande de l’article 23 que les membres du Comité intergouvernemental soient élus par la Conférence des Parties « dès que la Présente Convention entrera en vigueur ». En outre, dans la mesure où le nombre des membres du Comité intergouvernemental sera porté à 24 dès que le nombre des ratifications atteindra 50 (article 23.4), en escomptant que ce nombre sera atteint avant quatre ans, c’est-à-dire l’échéance du premier mandat du Comité, il sera possible de réajuster la représentation, au besoin.

Une autre tâche importante de la Conférence des Parties est d’approuver les directives opérationnelles préparées, à sa demande, par le Comité intergouvernemental. La Conférence des Parties se réunissant tous les deux ans, il faut donc envisager un délai d’au moins deux ans entre le moment où la Conférence des Parties demande au Comité intergouvernemental de préparer des directives opérationnelles et celui où ces dernières sont approuvées. Si de telles directives opérationnelles devaient s’avérer essentielles à la mise en œuvre de la Convention, il serait souhaitable que la Conférence des Parties en confie la préparation au Comité intergouvernemental dès sa première rencontre sous peine de voir l’adoption de celles-ci reportée à 4 ans plus tard. De telles directives opérationnelles pourraient être nécessaires par exemple pour permettre au Comité intergouvernemental de remplir convenablement la tâche qui lui est confiée à l’article 23 (6) d) de « faire des recommandations appropriées dans les situations portées à son attention par les Parties conformément aux dispositions de la Convention, en particulier à l’article 8 ( mesures destinées à protéger les expressions culturelles) » ou encore pour lui permettre de remplir les tâches qui lui sont confiées, aux paragraphes 4 et 5 de l’article 18, de décider de l’utilisation des ressources du Fonds international pour la diversité culturelle sur la « base des orientations de la Conférence des Parties » et pour « accepter des contributions et autres formes d’assistance à des fins générales ou spécifiques se rapportant à des projets déterminés, pourvu que ces projets soient approuvés par le Comité intergouvernemental ». On rappellera que la mobilisation des différentes ressources ainsi visées est particulièrement importante pour les pays en développement et pour faciliter la mise en œuvre du volet de coopération internationale de la Convention. Il importe donc qu’elle puisse commencer le plus tôt possible.

2. Le Comité intergouvernemental

Dans la foulée de cette première réunion de la Conférence des Parties, il faut envisager également la convocation d’une première rencontre du Comité intergouvernemental en vue d’établir les grandes lignes de son programme d’action durant les premières années. L’organisation de cette rencontre sera facilitée par le fait que les représentants des Parties élus pour siéger au Comité seront déjà sur place. Le Comité intergouvernemental fonctionne sous l’autorité et les directives de la Conférence des Parties et lui rend compte (article 23(3)). Son mandat général est de promouvoir les objectifs de la Convention ainsi que d’encourager et d’assurer le suivi de sa mise en œuvre. Entre autres fonctions spécifiques qui lui sont confiées dans ce cadre, il faut mentionner celle d’établir les procédures et autres mécanismes de consultation afin de promouvoir les objectifs et principes de la Convention dans d’autres enceintes internationales (article 23(6) e)). Considérant les négociations commerciales présentement en cours, il s’agit certainement là d’une question qui devrait être envisagée de façon urgente, ne serait-ce que pour identifier les développements normatifs prévisibles et amorcer la circulation d’information qui ne peut que faciliter une bonne coordination, conformément à l’esprit de la Convention.

On reviendra plus loin sur le suivi de la mise en œuvre de la Convention par la Conférence des Parties et le Comité intergouvernemental. Pour le moment, il faut surtout insister sur l’importance d’entamer dès maintenant une réflexion sur les tâches qui pourraient être prioritairement confiées à ces deux organes lors de leur première rencontre. Une autre question qui devrait être envisagée dans ce contexte est celle de la présidence du Comité intergouvernemental : il s’agirait de réfléchir ici non pas sur l’identité de la personne à choisir mais plutôt sur les exigences de la fonction.

 

II - LE SUIVI DE LA MISE EN ŒUVRE PAR LES PARTIES

Tel qu’il est suggéré en introduction, nous distinguerons dans les pages qui suivent entre le suivi politique et le suivi juridique.

1. Le suivi politique

Si les Parties à la Convention, agissant individuellement, sont les premières responsables de la mise en œuvre de celle-ci en droit, il n’en demeure pas moins que les négociateurs ont aussi doté la Convention en question d’organes qui ont pour mission de promouvoir les objectifs de cette dernière ainsi que d’encourager et d’assurer le suivi de sa mise en œuvre (articles 22 (4) d) et 23 (6) a). En ce sens, ils ont accepté une surveillance collective du suivi de la Convention, qui la garantit en tant qu’instrument multilatéral. De plus, ils ont reconnu à l’article 11 le rôle fondamental de la société civile dans la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et se sont engagés à encourager la participation active de la société civile à leurs efforts en vue d’atteindre les objectifs de la Convention, ce qui implique d’une certaine façon un droit de regard de la société civile sur la mise en œuvre de la Convention. On peut donc parler de trois niveaux distincts de suivi de la Convention, soit le niveau national (à travers les gouvernements), le niveau supranational (à travers la surveillance collective des États signataires) et, enfin, le niveau à la fois infranational et transnational (par l’intermédiaire de la société civile). Reste à voir comment ces trois niveaux d’acteurs peuvent opérer en pratique en regard des engagements prévus à la Convention. Pour ce faire, il faut d’abord dresser un portrait des engagements que les Parties assument en vertu de la Convention.

 

Les engagements des Parties

En contrepartie du droit souverain qui leur est reconnu dans la Convention « de formuler et mettre en œuvre leurs politiques culturelles et d’adopter des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles et pour renforcer la coopération internationale afin d’atteindre les objectifs de la présente Convention » (article 5), les Parties :

  1. - s’efforcent de créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux : a) à créer, produire et distribuer leurs propres expressions culturelles et y avoir accès; b) à avoir accès aux diverses expressions culturelles de leur territoire ainsi qu’à celles provenant des autres pays du monde. (article 7);
  2. - les Parties coopèrent pour se porter mutuellement assistance dans les situations mentionnées à l’article 8 (mesures destinées à protéger les expressions culturelles soumises à un risque d’extinction, à une grave menace ou nécessitant de quelque façon une sauvegarde d’urgence);
  3. - fournissent tous les quatre ans dans leurs rapports à l’UNESCO les informations appropriées sur les mesures prises en vue de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire et à l’étranger, désignent un point de contact chargé du partage de l’information au sujet de la Convention et partagent et échangent les informations relatives à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles (article 9);
  4. - favorisent et développent la compréhension de l’importance de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles, notamment par le biais de programmes d’éducation et de sensibilisation et coopèrent pour la réalisation de cet objectif avec les autres parties et les organisations internationales et régionales (article 10);
  5. - encouragent la participation active de la société civile à leurs efforts en vue d’atteindre les objectifs de la présente Convention (article 11);
  6. - s’emploient à renforcer la coopération bilatérale, régionale et internationale afin de créer les conditions propices à la promotion de la diversité des expressions culturelles (article 12);
  7. - s’attachent à soutenir la coopération pour le développement durable et la réduction de la pauvreté, particulièrement pour ce qui est des besoins spécifiques des pays en développement, en vue de favoriser l’émergence d’un secteur culturel dynamique, entre autres par le renforcement des industries culturelles des pays en développement, le renforcement des capacités par l’échange d’information, d’expérience et d’expertise ainsi que la formation des ressources humaines dans les pays en développement, le transfert de technologies et de savoir-faire par la mise en place de mesures appropriées et par le soutien financier, en particulier par l’établissement d’un Fonds international pour la diversité culturelle (article 14);
  8. - encouragent le développement de partenariats, entre et dans les secteurs public et privé et les organisations à but non lucratif, afin de coopérer avec les pays en développement au renforcement de leurs capacités de protéger et de promouvoir la diversité des expressions culturelles (article 15);
  9. - les pays développés facilitent les échanges avec les pays en développement en accordant, au moyen des cadres institutionnels et juridiques appropriés, un traitement préférentiel à leurs artistes et autres professionnels et praticiens de la culture ainsi qu’à leurs biens et services culturels (article 16);
  10. – les Parties s’accordent pour échanger l’information et l’expertise relatives à la collecte des données et aux statistiques concernant la diversité des expressions culturelles, ainsi qu’aux meilleures pratiques pour la protection et la promotion de celle-ci. (article 19 (1) );
  11. – les Parties s’emploient à verser des contributions sur une base régulière pour la mise en œuvre de la présente Convention et coopèrent pour établir un système financier adéquat. (articles 14 (4) et 18 (7) );
  12. – les Parties s’engagent à promouvoir les objectifs et les principes de la présente Convention dans d’autres enceintes internationales. À cette fin, elles se consultent, au besoin, en gardant à l’esprit ces objectifs et ces principes. (article 21).

Comme on peut le constater, la plupart des engagements en question sont des engagements de bonne foi qui n’impliquent pas l’atteinte d’un résultat précis mais constituent des obligations de comportement qui demandent que des efforts réels soient faits en vue d’atteindre les objectifs fixés. Difficilement contraignables d’un point de vue juridique, sinon au titre d’un manque de diligence qui soulève de délicats problèmes de preuve, ces engagements exigent un suivi politique de leur mise en œuvre d’autant plus important qu’il revient d’abord aux Parties elles-mêmes de déterminer à la lumière de leurs propres conditions ce qu’il y a lieu de faire sur leur territoire et au niveau international pour leur donner suite. Il est possible de faire une distinction à cet égard entre les engagements qui impliquent une action au plan national et ceux qui impliquent une action au plan international, le respect des seconds étant plus susceptible d’être questionné par les autres Parties. Mais, dans les faits, comme on le constatera, bon nombre des engagements impliquent une action à la fois au plan national et au plan international.

Le suivi de la mise en œuvre de la Convention par les gouvernements

La mise en œuvre de la Convention au sein de chacune des Parties relève au premier chef du pouvoir exécutif. Dans la mesure où la notion de suivi implique un regard critique sur la mise en œuvre, on peut comprendre qu’il n’est pas toujours facile pour ce dernier de porter un jugement sur ses propres agissements, surtout lorsqu’il jouit d’une assez large discrétion dans l’interprétation de la portée de ses engagements, comme c’est le cas lorsqu’on se trouve en présence d’engagements dits « de meilleurs efforts ». Malgré tout, un réel suivi à l’intérieur de la structure étatique demeure possible dans la mesure où il existe des mécanismes qui permettent d’exercer un contrôle politique sur l’action gouvernementale (on songe ici en particulier à des mécanismes relevant de l’exercice du pouvoir législatif tels que les questions en chambre, les commissions parlementaires, les comités, etc.). Ce genre de suivi de l’action gouvernementale ne doit pas être négligé car il peut s’avérer très utile lorsqu’il existe un large appui au sein du pouvoir législatif en faveur de la Convention. Cet appui tend alors à conforter les interventions gouvernementales en vue de donner suite à cette dernière et assure une certaine continuité dans la mise en œuvre en cas de changement de gouvernement. A l’inverse, un contrôle politique ou démocratique inexistant ou insuffisant, et donc une circulation d’information insuffisante, peut porter en germe une contestation ultérieure des politiques menées, alors même qu’on pouvait les croire acceptées. On sait ainsi que la ratification des Accords de Marrakech issus des négociations du Cycle de l’Uruguay n’a globalement donné lieu qu’à des discussions parlementaires limitées, sans rapport avec l’ampleur des enjeux, et sans relais vers les opinions publiques, ce qui n’a pu qu’alimenter la protestation.

Un autre motif important de prêter attention au soutien parlementaire réside dans le fait qu’il existe plusieurs associations ou confédérations de parlementaires dans le monde, telles que l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, l’Association parlementaire du Commonwealth, la Confédération parlementaire des Amériques, ou encore l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sans parler du Parlement européen avec ses parlementaires directement élus pour représenter les citoyens au sein de l’Union européenne, qui peuvent à travers leurs membres encourager un suivi étroit de la mise en œuvre de la Convention par les gouvernements concernés (et par la Communauté européenne dans son cas particulier). Une réflexion plus poussée sur la façon d’encourager et stimuler l’intervention des parlementaires dans le suivi de la mise en œuvre de la Convention pourrait à cet égard s’avérer utile. On pourrait imaginer par exemple à cet égard l’organisation d’une conférence internationale de parlementaires axée spécifiquement sur le rôle de ces derniers dans la mise en œuvre de la Convention, laquelle pourrait se pencher sur des moyens d’action comme la constitution de comités nationaux de parlementaires désireux de s’impliquer dans le suivi de la mise en œuvre de la Convention ou encore la rédaction d’un document explicitant la portée de la Convention et le rôle des parlementaires au regard de celle-ci. De telles démarches, en favorisant un soutien politique à la Convention mais aussi un contrôle démocratique de sa mise en œuvre, ne peuvent que renforcer sa légitimité.

Mais le suivi de la mise en œuvre de la Convention par les gouvernements peut malgré tout fluctuer dans le temps en fonction de l’intérêt porté à la cette dernière par les chefs d’État et les partis politiques. Faut-il rappeler que l’appui du Brésil et de l’Espagne au projet d’une Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles était loin d’être acquis avant les derniers changements de gouvernement qui se sont produits dans ces deux pays. Or, l’inverse pourrait aussi bien se produire. Pour assurer le suivi de la mise en œuvre de la Convention par les Parties, il ne faut donc pas s’en remettre exclusivement aux États.

Heureusement, comme nous l’avons vu précédemment, ces derniers, en reconnaissant dans la Convention le rôle fondamental de la société civile pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et en s’engageant à encourager la participation de cette dernière à leurs efforts dans ce domaine, se sont montrés ouverts à une forme de suivi de leurs actions qui se situe en dehors d’eux-mêmes.

Le suivi de la mise en œuvre de la Convention par la société civile

La Convention ne définit pas le concept de société civile mais il est généralement convenu que celle-ci inclut les individus, les associations, les organisations bénévoles, tout ce qu'on appelle les corps intermédiaires ─ intermédiaires entre l'État et l'individu ─ dans la mesure où ils n'émanent pas de l'État2. Dans le cadre des négociations de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, diverses organisations intéressées par la question ont pu participer à titre d’observateur aux rencontres de négociation. Malheureusement, il faut dire que le niveau d’organisation de la société civile en général diffère passablement d’un pays à l’autre et que les pays développés étant beaucoup plus avancés que les pays en développement à cet égard, ils tendent à être surreprésentés dans les forums internationaux. En ce qui concerne plus spécifiquement la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, toutefois, il importe de mentionner que les premières organisations non gouvernementales spécifiquement vouées à cette question n’ont fait leur apparition qu’en 1997-1998, d’abord en France et au Canada, puis assez rapidement ensuite dans une trentaine d’autres pays d’Europe, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, dont plus de la moitié sont des pays en développement. Ces organisations sont elles-mêmes constituées d’individus et de représentants de différents groupes et associations de professionnels de la culture, incluant des auteurs, producteurs, réalisateurs, artistes, etc. dans les différents secteurs de la production culturelle. Les intérêts représentés, parfois divergents ou en opposition au plan professionnel, se sont retrouvés largement unis autour du projet d’une convention internationale pour la défense de la diversité des expressions culturelles. Il n’est pas exclu cependant qu’à l’étape de la mise en œuvre de la Convention, ces intérêts divers cherchent à s’exprimer parfois séparément. En outre, les personnes représentées ou mobilisées sont davantage des professionnels de la culture que des « consommateurs », ce qui peut contribuer à donner une allure corporatiste à leur action, ce à quoi il faut accorder de l’attention pour éviter de prêter le flanc à la critique d’une démarche protectionniste. Nul doute, là encore, qu’une pédagogie est nécessaire en direction de l’opinion publique pour susciter un soutien qui excède les seuls professionnels, à travers la prise de conscience des enjeux en cause. Ceci précisé, le suivi de la Convention par la société civile, que l’on conçoit a priori comme essentiellement national, peut aussi être relayé au niveau transnational, en particulier par le biais de réseaux d’organisations non gouvernementales.

1. Au niveau infranational

L’efficacité du suivi de la Convention par la société civile dépendra en premier lieu de sa capacité d’obtenir l’information pertinente de la part des gouvernements en ce qui concerne les actions qu’ils entendent prendre ou déjà prises en vue de protéger et de promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire et à l’étranger. Pour obtenir cette information, la société civile pourra faire valoir, en plus de l’article 11 sur la participation de la société civile, l’article 9 sur le partage de l’information et la transparence et l’article 10 sur l’éducation et la sensibilisation du public. Il arrive en effet que les gouvernements ne soient pas toujours très réceptifs à l’idée de transmettre des informations qu’ils considèrent pour diverses raisons confidentielles, et dans un tel cas, un rappel de leurs engagements pourrait s’avérer utile. Mais cela suppose déjà de la part de la société civile une certaine connaissance du fonctionnement de la Convention et des engagements des Parties, ce qui n’est pas nécessairement acquis à ce stade-ci. De la même façon que les gouvernements s’engagent à l’article 10 à favoriser et développer la compréhension de l’importance de protéger et de promouvoir la diversité des expressions culturelles par le biais de programmes d’éducation et de sensibilisation accrues du public, les organisations non gouvernementales associées à la défense de la diversité des expressions culturelles devraient entreprendre dans les meilleurs délais une campagne de sensibilisation auprès de leurs membres afin de les initier au contenu de la Convention et aux moyens d’utiliser cette dernière. Enfin, en prévision du jour où les organes de la Convention entreront en fonction, un travail exploratoire sur les dossiers que la société civile voudrait voir discutés par eux en priorité devrait être entrepris par cette dernière. Il n’est pas inutile de rappeler ici que le Comité intergouvernemental, conformément à son règlement intérieur, peut inviter à tout moment des organismes publics ou privés, ou encore des personnes physiques, à participer à ses réunions en vue de les consulter sur des questions spécifiques (article 23 (7)).

2. Au niveau transnational

Si l’action de la société civile en ce qui concerne le suivi de la mise en œuvre de la Convention se situe d’abord et avant tout au niveau national, cela n’exclut en aucune façon par ailleurs une action au niveau transnational, bien au contraire. Depuis plusieurs années déjà, le besoin d’une concertation à cet égard entre les différentes organisations nationales associées à la défense de la diversité des expressions culturelles a commencé à se faire sentir et des démarches en vue d’en arriver à une confédération de telles organisations sont en cours. Deux raisons importantes militent en faveur d’un tel développement. La première réside dans le niveau très inégal d’organisation de la société civile dans le monde et du besoin d’assistance de nombreux pays dans ce domaine. La seconde réside dans la nécessité de développer des approches communes en vue d’amener les Parties à promouvoir activement les objectifs et principes de la Convention dans les autres enceintes internationales. La société civile pourrait s’appuyer à cet égard sur l’article 12 (c) qui prescrit que les Parties s’emploient à renforcer la coopération bilatérale, régionale et internationale afin de créer les conditions propices à la promotion de la diversité des expressions culturelles, en vue notamment de « renforcer les partenariats avec la société civile, les organisations non gouvernementales et le secteur privé, et entre ces entités, pour favoriser et promouvoir le diversité des expressions culturelles ».

Le suivi de la mise en œuvre par les organes de la Convention

Mais le type de suivi de la mise en œuvre qui risque de s’avérer le plus important à long terme, parce qu’il répond à la volonté collective des Parties, est celui exercé par les organes de la Convention. Le mécanisme de base envisagé par la Convention à cet égard est celui de l’article 9 sur le partage de l’information et de la transparence qui prescrit que « les Parties fournissent tous les quatre ans, dans leurs rapports à l’UNESCO, l’information appropriée sur les mesures prises en vue de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire et au niveau international ». Cette exigence ne doit pas être perçue comme une forme d’intervention extérieure dans le fonctionnement interne des Parties mais plutôt comme une façon de stimuler chez chacune d’elles une réflexion critique sur leur propre situation en regard des objectifs de la Convention et une façon d’engager un dialogue avec les autres Parties à sujet. C’est aussi l’occasion de prendre la mesure de ce qui existe d’ores et déjà et d’identifier un certain nombre de leviers utiles notamment pour développer la coopération internationale. Il faut souligner à cet égard que l’article 9 de la Convention doit être compris à la lumière de l’article 19 qui vient le compléter en précisant que « les Parties s’accordent pour échanger l’information et l’expertise relatives à la collecte des données et aux statistiques concernant la diversité des expressions culturelles, ainsi qu’aux meilleures pratiques pour la protection et la promotion de celle-ci ». Il faut bien comprendre aussi que c’est à partir de l’information transmise et des besoins exprimés par les Parties que pourra s’organiser au plan international la coopération envisagée aux articles 12, 14 et 15 de la Convention en prenant appui sur la coopération qui existe d’ores et déjà, même si elle est dispersée et encore insuffisante. L’article 14 (2) parle précisément à cet égard du « renforcement des capacités par l’échange d’information, d’expériences et d’expertise ainsi que la formation des ressources dans les pays en développement… » L’information joue également un rôle important dans la mise en œuvre des articles 8 et 17, lorsqu’une Partie diagnostique « l’existence de situations spéciales où les expressions culturelles, sur son territoire, sont soumises à un risque d’extinction, à une menace grave, ou nécessitent de quelque façon une sauvegarde urgente ». Dans un tel cas, les Parties peuvent prendre toutes les mesures appropriées pour protéger et préserver les expressions culturelles en question mais elles doivent faire rapport au Comité intergouvernemental sur toutes les mesures prises pour faire face aux exigences de la situation et le Comité peut faire des recommandations appropriées, y compris faire appel à la coopération internationale.

Ainsi qu’on peut le constater, la collecte, l’échange, l’analyse et la diffusion de l’information sont appelés à jouer un rôle important dans la mise en œuvre de la Convention. Mais pour que les engagements des parties dans ce domaine débouchent sur des résultats concrets, il importe dès maintenant de réfléchir sur les implications concrètes des articles 9 et 19. Une initiative en ce sens serait d’autant plus justifiée qu’aux termes des paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 19, l’UNESCO s’engage à faciliter, grâce aux mécanismes existants au sein du Secrétariat, l’analyse et la diffusion de toutes les informations, statistiques et meilleures pratiques en la matière, à constituer et maintenir à jour une banque de données concernant les différents secteurs et organismes gouvernementaux, privés et à but lucratif, œuvrant dans le domaine des expressions culturelles et enfin à accorder une attention particulière au renforcement des capacités et de l’expertise des Parties qui formulent des demandes d’assistance en matière de collecte de données. À titre d’exemple d’une démarche utile qui pourrait être entreprise dans ce contexte, on peut mentionner la constitution d’une banque de données concernant la production, la consommation et la circulation internationale des activités, biens et services culturels des États signataires. Un effort en ce sens avait déjà été entrepris par l’UNESCO entre1998 et 2002 dans le cadre de la publication du Rapport mondial sur la Culture mais a malheureusement dû être interrompu. Cet effort mérite d’être poursuivi. Une démarche en ce sens pourrait dès maintenant être entreprise à l’initiative d’un ou de quelques États agissant de concert avec l’Institut de statistique de l’UNESCO, des organismes comme l’Observatoire européen de l’audiovisuel et les services statistiques des États intéressés. La mobilisation de moyens d’ores et déjà existants peut faciliter la mise en œuvre de la Convention en évitant d’engendrer des coûts nouveaux importants qui susciteraient la réticence des Parties.

Mais le rôle de l’information, tel qu’il est envisagé dans la Convention, est de servir de support à l’action. Or, on peut facilement concevoir que ce qui ressortira en tout premier lieu de l’information accumulée et transmise est le clivage important qui existe entre les pays développés et les pays en développement en ce qui concerne la capacité de répondre aux besoins identifiés au plan culturel. Les États peu avancés en matière de politiques culturelles sont presque toujours aussi des États qui disposent de peu de ressources pour mettre en place de telles politiques. Il faut donc dès maintenant développer une stratégie en vue de venir en aide à ces derniers. Deux voies s’ouvrent à cet égard. La première est celle de l’aide directe. Bon nombre de pays développés disposent déjà de politiques culturelles qui répondent à des besoins très diversifiés et qui ont fait leurs preuves. Or, ce savoir-faire et cette expérience peuvent profiter aux pays en développement, pourvu qu’ils soient adaptés aux besoins spécifiques de ces derniers. La formule des partenariats, envisagée à l’article 15 de la Convention, offre à cet égard un potentiel qui mérite d’être considéré avec attention. Ces partenariats, entre et au sein des secteurs public et privé et des organisations à but non lucratif, mettent l’accent, « en réponse aux besoins concrets des pays en développements, sur le développement des infrastructures, des ressources humaines et des politiques ainsi que sur les échanges d’activités, de biens et de services culturels ». Rien n’interdit de commencer à réfléchir dès maintenant sur la mise en place de tels partenariats. La deuxième voie est celle de l’aide multilatérale telle qu’envisagée à l’article 18, qui met en place un Fonds international pour la diversité culturelle. Cette voie est un complément essentiel à l’aide directe dans la mesure où elle offre une plus grande indépendance en ce qui concerne les conditions liées à l’aide en même temps qu’une garantie que l’ensemble des pays membres aura accès à celle-ci. Pour être crédible, toutefois, elle exige que le Fonds en question soit rapidement doté des ressources nécessaires à son action. Il apparaît essentiel à cet égard qu’une stratégie soit élaborée dès maintenant en vue d’accélérer la dotation du Fonds. Il serait souhaitable, par exemple, qu’un État qui ratifie la Convention profite de l’occasion pour faire connaître sa contribution à la dotation du Fonds. La société civile également devrait participer à cet effort. Les professionnels de la culture, qui sont souvent intervenus dans le passé pour venir en aide à des causes humanitaires diverses, pourraient certainement trouver une façon de contribuer à la dotation du Fonds. Il en va de même des grandes organisations internationales qui oeuvrent dans les domaines de la culture et du développement. Pour les pays en développement, le simple fait de commencer à travailler dès maintenant à la dotation du Fonds enverrait un signal clair que la Convention n’est pas destinée à demeurer lettre morte.

2. Le suivi juridique

On entend ici par suivi juridique le suivi de la mise en œuvre des engagements des Parties en cas de différends entre ces dernières sur l’interprétation ou l’application des engagements en question. La Convention ne comporte pas de dispositions concernant le règlement judiciaire ou arbitral des différends, c'est-à-dire des dispositions instaurant un mécanisme qui débouche sur des décisions fondées sur le droit et obligatoires. Mais le silence de la Convention sur ce sujet n’interdit pas le recours à l’un ou l’autre de ces modes de règlement des différends dès lors que les Parties impliquées sont d’accord pour agir ainsi.

La Convention, en revanche, prévoit un mode de règlement des différends qui se rapproche à certains égards du règlement judiciaire ou arbitral mais qui s’en distingue en ce qu’il débouche sur une proposition de résolution du différend que les Parties examinent de bonne foi plutôt que sur une décision obligatoire. Le mécanisme en question, une commission de conciliation, est obligatoire pour toutes les Parties sauf celles qui déclarent, au moment de ratifier la Convention, qu’elles ne veulent pas être liées par celui-ci. L’intérêt d’un tel mécanisme, même s’il n’est pas contraignant, est d’amener les États à soumettre leurs différends en matière culturelle à un mécanisme spécifiquement prévu par la Convention parce que c’est seulement ainsi que des solutions autres que commerciales pourront être trouvées aux différends en questions et qu’une jurisprudence prenant appui sur des considérations culturelles pourra se développer avec le temps.

Malheureusement, la Convention, même si elle comporte une annexe explicitant la procédure de conciliation, laisse dans l’ombre plusieurs points importants qui demanderaient à être clarifiés, par exemple le rôle du Secrétariat de l’UNESCO dans l’administration du mécanisme en question, la possibilité ou non de rendre public le rapport de la commission ou encore la question du règlement des frais. En attendant que la Convention entre en vigueur, il serait donc approprié d’entamer une réflexion sur ce qui pourrait être fait en vue de préciser le fonctionnement du mécanisme de conciliation prévu.

Mais cela n’est pas suffisant. Pour que celui-ci joue véritablement son rôle, il faut que les Parties s’en servent, ce qui suppose qu’il soit connu et compris. Or, cela n’est malheureusement pas le cas. La conciliation comme mode de règlement des différends est quelque chose de relativement nouveau, n’apparaissant sur la scène internationale qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale dans les Accords de Locarno de 1925 et dans l’Acte général d’arbitrage de 19283. Même si elle s’apparente au premier abord aux bons offices et à la médiation (elle vise à rapprocher le point de vue des parties et proposer une solution dépourvue de caractère contraignant), elle ne peut être comprise, comme on l’a justement fait valoir, que si on l’oppose aux deux modes précédents : « Elle a été en effet très largement conçue dans un esprit de réaction contre les bons offices et la médiation considérés au XIXème siècle (à la suite des pratiques du concert européen) comme permettant de trop facilement déguiser des manœuvres de pression des grandes puissances sur les petits et moyens États ».4 C’est ce qui explique que cette procédure est perçue comme ayant un caractère juridique et formel plus accusé et respectueux du contradictoire, le but étant que l’organe soit le plus impartial possible.

Un renouveau d’intérêt pour ce mode de règlement des différends s’est manifesté à partir des années 1960. On le retrouve par exemple dans le Protocole de 1962 instituant une Commission de conciliation et de bons offices chargée de rechercher la solution des différends qui naîtraient entre États parties à la Convention de l’UNESCO contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement. Tous les deux ans, à l’occasion de la Conférence générale de l’UNESCO, le Conseil exécutif transmet à cette dernière la liste des personnes présentées par les Parties à ce Protocole en vue de leur élection ou réélection à titre de membres de la Commission5. À ce jour, toutefois, il appert qu’aucun différend n’a encore fait l’objet d’un règlement en vertu du Protocole en question. Il est fait mention également de la conciliation aux articles 12 et 13 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965 (entrée en vigueur en 1969). Là encore, il ne semble pas que la procédure en question ait été utilisée jusqu’à maintenant. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre États fait de la conciliation la procédure de droit commun pour les litiges relatifs à la nullité, à l’extinction ou à la suspension de l’application des traités (article 65). Un exemple un peu plus récent est celui de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 qui prescrit que les délimitations maritimes doivent être effectuées par voie d’accord et, à défaut, par la conciliation internationale ou le règlement juridictionnel. Constatant le faible recours au règlement juridictionnel, Richard Meese suggérait, dans un article publié en 1998, que les États auraient avantage à utiliser plus souvent la conciliation internationale pour certaines des délimitations restant à effectuer6. Pour en arriver à cette conclusion, il s’appuyait sur un précédent intéressant qui est la convention de conciliation intervenue en 1980 entre la Norvège et la Finlande en vue de soumettre des recommandations au sujet de la délimitation du plateau continental dans le secteur de Jan Mayen. La commission de conciliation mise en place rendit un rapport dont les recommandations étaient unanimes et les deux parties acceptèrent ces recommandations comme base pour leurs négociations complémentaires qui aboutirent à un accord en octobre 1981.

À partir des années 1990, plusieurs instruments internationaux ont adopté la conciliation comme mode de règlement des différends. C’est le cas en particulier de la Convention de conciliation et d’arbitrage au sein de l’organisation sur la sécurité et la coopération en Europe conclue à Stockholm (1992), de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (1992), du Règlement type de conciliation des Nations Unies applicable aux différends entre États (1996), de la Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux (1998), du Règlement facultatif de conciliation de la Cour Permanente d’arbitrage pour les différents relatifs aux ressources naturelles et/ou à l’environnement (2002) ou encore de la Loi type de la CNUDCI sur la conciliation commerciale internationale (2002). Mais nonobstant cet intérêt manifeste pour la procédure de conciliation dans les accords internationaux, les cas concrets de recours à cette procédure demeurent plutôt rares, étant entendu qu’on recense cependant d’importants cas d’application de ce mode de règlement.

On peut se demander pourquoi il en est ainsi, considérant que la conciliation n’a pas le caractère contraignant du règlement juridictionnel et est donc moins menaçante pour la souveraineté des États. Est-ce faute de conflits ? Il y a lieu d’en douter. Simplement entre le Canada et les États-Unis, il serait facile d’identifier une demi-douzaine de conflits dans le domaine culturel qui auraient pu faire l’objet d’une procédure de règlement des différends. Est-ce parce que les États en général sont peu enclins à soumettre leurs conflits avec d’autres États à une procédure de règlement des différends, peu importe la nature de celle-ci ? Cela n’est certainement pas faux, mais l’importance qu’a pris le règlement juridictionnel des différends dans le cadre de l’OMC tend à démontrer que les États ne sont pas aussi réticents qu’on le pense à soumettre leurs conflits à une procédure de règlement des différends. Ce qui apparaît déterminant en réalité, c’est la perception qu’ont les États de leur intérêt à se soumettre à une telle procédure. Dans le cas des conflits de nature commerciale, cet intérêt est assez largement reconnu. Dans les conflits de nature culturelle, en revanche, il n’est pas encore très évident. Aussi apparaît-il souhaitable de poursuivre plus loin la réflexion sur la pertinence du recours à la conciliation dans le domaine culturel et d’envisager la publication d’un texte qui expliquerait plus en détails la nature du mécanisme en question et le rôle qu’il pourrait jouer dans la mise en œuvre de la Convention.

Il faut reconnaître par ailleurs que le fait que la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles donne le droit aux Parties qui le souhaitent de se désengager du régime de conciliation prévu au moment de la ratification n’est pas de nature à rassurer quant à l’utilisation future de ce mécanisme. Il apparaît donc important que le plus grand nombre possible d’États ratifient la Convention sans exercer ce droit. Pour cela, il faut que les premières ratifications donnent clairement le ton à cet égard. Si les 30 premiers États à ratifier la Convention, par exemple, le faisaient sans chercher à se désengager du mécanisme de règlement des différends prévu, on pourrait espérer que les États suivants fassent de même. Il y a donc un effort à faire dès maintenant en vue d’en arriver à ce résultat, un effort qui implique l’ensemble des acteurs intéressés au succès de la Convention. Le tout premier instrument de ratification déposé auprès du directeur général de l’UNESCO, celui du Canada en date du 25 novembre 2005, trace la voie à cet égard en acceptant la Convention sans clause de désengagement concernant le mécanisme de règlement des différends.

CONCLUSION

La présente note sur le suivi de la mise en œuvre de la Convention ne prétend aucunement épuiser la question mais vise seulement à faire ressortir certaines pistes de réflexion susceptibles d’appuyer une mise en œuvre rapide et dynamique de la Convention. Il serait extrêmement déplorable qu’après son adoption par la Conférence générale et sa ratification par le nombre requis d’États, celle-ci échoue au niveau de la mise en œuvre. Le meilleur moyen pour éviter qu’il en soit ainsi est de se préparer dès maintenant à cette étape de la mise en œuvre, comme si la Convention était sur le point d’entrer en vigueur.

Maintenant que la Convention existe et que sa négociation est apparue comme un enjeu important, si l’on en croit l’intérêt qu’elle a suscité, y compris dans les moyens d’information grand public, les Parties sont mises au défi d’utiliser effectivement l’instrument qu’elles ont voulu. La présente note n’est pas entrée dans le détail du contenu de la mise en œuvre de la Convention du point de vue des politiques à mener, puisqu’il appartient à chaque Partie de définir les politiques et mesures qu’elle entend se donner. Mais il convient peut-être de rappeler quelques points qui doivent susciter une particulière vigilance :

1. Les politiques et mesures doivent être conçues et mises en œuvre dans le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la transparence dont les parties sauront faire preuve, en particulier dans le cadre des différents mécanismes de suivi analysés plus haut, ne pourra qu’aider à attester qu’il en va bien ainsi.

2. La mise en œuvre de la convention ne pourra se faire isolément d’une juste prise en compte du contexte. A cet égard, il convient sans doute de se rappeler que la Convention a un objet limité aux politiques et mesures des Parties, c’est-à-dire essentiellement des États, ce qui, pour être une dimension importante, n’épuise pas la question de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles. D’autres débats, actuellement en cours, montrent les enjeux liés à la maîtrise des moyens de production et surtout de diffusion, compte tenu des évolutions technologiques, mais aussi la nécessité de prendre en compte la structuration économique du secteur des industries culturelles et de réfléchir au problème de la régulation du comportement des acteurs du secteur, tant au plan national qu’international.

3. Dès le début de la réflexion sur la faisabilité d’un instrument juridique sur la diversité culturelle, il était évident que, même limité à une problématique culturelle, et en raison des caractéristiques de la mondialisation, un tel instrument interagirait nécessairement avec d’autres champs. La Convention représente une première pierre dans l’édification d’un pilier culturel du droit de la mondialisation, mais ce pilier doit être consolidé et la mise en œuvre de la Convention peut aussi être l’occasion de réfléchir aux modalités de cette consolidation et d’en lancer le processus.

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