Coalition suisse pour la diversité culturelle
Schweizer Koalition für die kulturelle Vielfalt
Coalizione svizzera per la diversità culturale
Coaliziun svizra per la diversitad culturala

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Le Rapport 2009

Diversité culturelle – plus qu'un slogan

La Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles - Un premier pas vers sa mise en œuvre en Suisse

Encourager la création, soutenir la production, stimuler la diffusion et favoriser l’accès aux expressions culturelles les plus diverses: tels sont les objectifs de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Le 16 octobre 2008, la Suisse devenait Partie à la Convention. Une année après, jour pour jour, la Coalition et la Commission proposent, avec ce rapport, un catalogue de mesures pour que son engagement international se traduise dans les faits au plan national.

S’assurer de la réalisation de ces objectifs dans notre pays est l’ambition de la Coalition suisse pour la diversité culturelle et de la Commission suisse pour l’UNESCO. Sur l’initiative de la Coalition et de la Commission, la société civile a soutenu les autorités dans la négociation internationale de la Convention de l’UNESCO.
Elle a ensuite activement participé au processus qui a mené à sa ratification par la Suisse. Elle est maintenant partie prenante dans sa mise en œuvre avec ce premier rapport, comme elle devra l’être aussi dans l’application des mesures qu’il propose.

Le rapport 2009

Les analyses, réflexions et recommandations élaborées par les huit groupes d'experts étant en partie très volumineuses, les textes ont du être raccourcis et rédigés pour la publication.

Vous trouverez les chapitres du rapport imprimé en sélectionnant un secteur du menu «Thèmes de travail...».

Les rapports sectoriels originaux, en général plus étendus, sont disponibles depuis ces pages pour le téléchargement sous forme de fichiers PDF. Vous y trouverez parfois aussi  des versions mises à jour ou d'autres documents pour une étude approfondie des problèmes du secteur.

Pour la mise en œuvre détaillée des mesures proposées il faut en tout cas consulter les rapports originaux.

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Préface du rapport imprimé

La Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles - Un premier pas vers sa mise en œuvre en Suisse

Encourager la création, soutenir la production, stimuler la diffusion et favoriser l’accès aux expressions culturelles les plus diverses: tels sont les objectifs de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée à Paris en octobre 2005.

S’assurer de la réalisation de ces objectifs dans notre pays est l’ambition de la Coalition suisse pour la diversité culturelle et de la Commission suisse pour l’UNESCO.
Sur l’initiative de la Coalition et de la Commission, la société civile a soutenu les autorités dans la négociation internationale de la Convention de l’UNESCO.
Elle a ensuite activement participé au processus qui a mené à sa ratification par la Suisse. Elle est maintenant partie prenante dans sa mise en œuvre avec ce premier rapport, comme elle devra l’être aussi dans l’application des mesures qu’il propose.

Cet engagement s’inscrit dans la disposition clé de l’article 11 de la Convention: «Les Parties reconnaissent le rôle fondamental de la société civile dans la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Les Parties encouragent la participation active de la société civile à leurs efforts en vue d’atteindre les objectifs de la présente Convention».

Le 16 octobre 2008, la Suisse devenait Partie à la Convention. Une année après, jour pour jour, la Coalition et la Commission proposent, avec ce rapport, un catalogue de mesures pour que son engagement international se traduise dans les faits au plan national.
Ces propositions sont le fruit d’une réflexion commune menée par une soixantaine d’acteurs de la culture, de la communication, de l’éducation, de la coopération et de l’économie, soucieux de protéger et de promouvoir la diversité des expressions culturelles en Suisse et dans le monde. Elles n’ont pas la prétention de refléter l’intégralité du paysage culturel suisse, ni celle d’apporter des réponses à tous les défis actuels et futurs. Elles ne sont pas une fin en soi, mais ont l’ambition d’être la rampe de lancement d’un exercice à plus long terme.

A l’heure où la diversité des expressions culturelles est de plus en plus malmenée par la progression d’une monoculture globalisée, il est essentiel de rappeler avec force que les activités, les biens et les services culturels ne sont pas que des marchandises. Le cinéma, le livre, la musique, les médias sont aussi des vecteurs d’identité, de sens, de valeurs. La Convention permet à chaque Etat de protéger et de soutenir les acteurs, produits et industries culturels. Elle les encourage aussi, dans un esprit de solidarité, à accompagner les efforts des pays en développement dans ce sens.

La tâche est considérable, exigeante et complexe, mais aussi riche de promesses et d’opportunités. Elle requiert la conjonction de compétences, de connaissances, d’expériences multiples et diverses, et donc une étroite collaboration entre les acteurs de la culture, les pouvoirs publics et le secteur privé. Avec ce rapport, nous souhaitons lancer le débat et inciter tous les milieux concernés à relever l’enjeu de la Convention, ensemble.

Que toutes celles et tous ceux qui ont soutenu et accompagné cette démarche, particulièrement le rapporteur général, les expertes et experts, et les rédacteurs de ce rapport, trouvent ici l’expression de notre vive reconnaissance.

Francesca Gemnetti
Présidente de la Commission suisse pour l’UNESCO

Beat Santschi
Président de la Coalition suisse pour la diversité culturelle

Diego Gradis
Vice-président de la Commission suisse pour l’UNESCO
Vice-président de la Coalition suisse pour la diversité culturelle


Avant-propos du Rapporteur général

Le but de cet avant-propos est de mettre en relief les éléments maintes fois cités dans les rapports, en soulignant leur orientation commune.

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DANIEL FUETER

AVANT-PROPOS

Remarque préliminaire. Cette publication réunit des rapports issus d’une variété de secteurs culturels. Ils ont tous pour thème la mise en œuvre de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Le but de cet avant-propos est de mettre en relief les éléments maintes fois cités dans ces rapports, en soulignant leur orientation commune. Il est donc l’œuvre d’une pléiade d’auteurs. Le soussigné tient ici à leur rendre hommage et à les remercier pour leur précieuse coopération, lui-même se voyant comme un rédacteur – au sens propre du terme – c’est à dire un collecteur et un ordonnateur d’idées.

L’ouvrage est rédigé en deux langues. Cet avant-propos a été rédigé en allemand. Dans le texte, il est fait mention des divers modes de raisonnement et de leur conditionnement par la langue. Le soussigné sait combien il est difficile de transposer dans le moule du cartésianisme français les mouvements sinueux du cheminement précautionneux de la pensée allemande. Que le lecteur veuille bien faire preuve d’indulgence. Ce n’est là qu’un premier exemple des difficultés qui émaillent le traitement de la diversité culturelle.

Il reste à exprimer l’espoir que cet avant-propos saura tout à la fois rendre compte de la richesse polyphonique du chœur des experts et faire ressortir la ligne mélodique du thème «Protection et promotion de la diversité culturelle».


Dans un laboratoire, quand il est question de cultures, nous pensons à des organismes qui se développent. Par contre, des mots-clés tels que culture d’entreprise, culture de communication ou culture du débat évoquent soit le climat de notre vie sociétale, soit des modèles de comportement bien établis. L’espace culturel désigne une entité dont la définition est d’ordre social ou géographique. La culture du bâti est faite de concepts et de procédés artisanaux et artistiques, historiquement déterminés et à base scientifique, qui se concrétisent dans des constructions et des aménagements. Autrement dit, la «culture» se manifeste sous des formes diverses et dans tous les domaines de la vie des communautés humaines.

La culture, synonyme de qualité de vie

Parler de culture, c’est parler de la qualité de la vie humaine, vue sous l’angle de son développement et de son organisation dans des conditions différentes. Nous nous référons à certaines cultures spécifiques pour pouvoir nos entendre sur ce qu’est la culture. C’est à travers la diversité que nous découvrons les traits communs constitutifs de la notion de culture. La possibilité de faire coexister des cultures est inhérente à la notion de culture. L’exclusivité est une revendication que les cultures se voient imposer par les politiques de puissance, par des prescriptions religieuses et certaines tendances fondamentalistes. Inversement, l’ouverture aux formes culturelles les plus diverses, aux coutumes et aux innombrables traditions trouve ses limites là où commencent le droit à la protection de la dignité humaine et le respect du milieu naturel.

Parler de la culture, c’est d’abord envisager les diverses images de l’homme – ne serait-ce que du fait des nombreux niveaux où se situera l’entretien. Cette diversité d’images défie l’uniformisation et l’anonymisation des êtres humains, et contrecarre les velléités d’assujettissement à des intérêts particuliers, quels qu’ils soient. La complexité même de la notion de culture prouve que la culture ne peut pas se réduire à la dimension d’un produit de consommation et ne peut pas être traitée comme tel.

Les valeurs culturelles sont à la base de la cohabitation sociale

Pendant des décennies, en Suisse aussi, une approche économistique et utilitariste a rétréci et déformé notre perception de ce qui est essentiel à la vie. C’était oublier que l’économie doit s’appuyer sur une base, dont la nature est déterminée, pour l’essentiel, par des facteurs autres qu’économiques, notamment les règlements étatiques, les règles sociales, les conditions écologiques et historiques. Les ordres économiques plongent leurs racines dans ce substrat et y puisent leur légitimité, leur fiabilité et leur vitalité.

Le terme «crédit» évoque par association des mots tels que confiance, loyauté et bonne foi. Il faut commencer par revenir à ces principes si nous voulons sortir la société de l’impasse dans laquelle l’a conduite une confiance terriblement simpliste dans l’économie. Parmi ces principes, la diversité des valeurs culturelles tient une place essentielle.

Ces valeurs peuvent se définir de diverses façons: on peut dire que la culture est faite de nos manières de gérer notre existence et de nos efforts pour acquérir des connaissances sur nos conditions d’existence et sur nous-mêmes. On peut dire aussi que les cultures sont des espaces de vie et de mouvement, des enveloppes qui entourent le monde de notre réalité et qui nous permettent de respirer. D’aucuns voient la culture comme un rétroviseur, dans lequel nous partons à la découverte des racines de notre identité, comme un miroir qui, par réflexion, nous montre notre réalité hic et nunc, ou encore – sur le mode emphatique – comme une surface réfléchissante qui a le pouvoir de jeter une lumière dans les ténèbres de l’avenir.

L’importance de la Convention de l’UNESCO pour la Suisse

La Suisse a pris une décision d’une grande portée lorsque, en 2008, elle a ratifié la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Elle a ainsi manifesté sa volonté d’assumer la protection et la promotion de la culture. Elle a promis de se lancer dans une profusion de tâches concrètes et d’assumer ses responsabilités pour l’avenir en défendant le patrimoine culturel. Elle a souligné la nécessité de prendre des mesures pertinentes pour mettre en œuvre la Convention, en concertation et en collaboration avec la communauté internationale.

La ratification implique, en premier lieu, que la politique culturelle soit reconnue comme une tâche primordiale et prioritaire, aussi au niveau de la Confédération. Cette évolution est plus nécessaire que jamais. Les bouleversements sociétaux et technologiques appellent de nouvelles stratégies de politique culturelle. Deux points sont à relever:

Les conséquences de la globalisation et de la révolution numérique

Premier point: La diversité culturelle est menacée par le choc entre les manifestations culturelles globales, fortement standardisées, et les créations et productions culturelles nationales et régionales, originales et spécifiques. L’Etat s’est porté garant de la diversité et s’est engagé à la protéger contre les dangers qui la menacent. La politique culturelle a des points communs avec l’écopolitique: l’engagement doit partir du local – avec le maintien de la biodiversité à l’échelle de l’individu, de la communauté – et se déployer à tous les niveaux pour atteindre au global, avec des mesures qui ne peuvent s’imposer qu’en vertu de conventions internationales.

Deuxième point: La révolution numérique a gagné tous les secteurs de la vie culturelle. Ce changement radical est particulièrement apparent dans les communications et l’industrie de la musique, mais il touche également le paysage médiatique et les arts visuels. Il se répercute sur toute la chaîne, depuis la création jusqu’à la distribution, qu’il s’agisse de cinéma, de littérature ou d’autres expressions artistiques. Ce processus, en constante accélération, est tangible dans tous les secteurs culturels, et partout les mêmes questions se posent.

Comment maintenir la diversité de l’offre, compte tenu des nouvelles conditions du marché? Comment les petites entreprises peuvent-elles se doter de l’infrastructure requise par les nouvelles technologies? Comment archiver le répertoire historique, le documenter, le présenter? Et la question, particulièrement urgente, qui revient constamment: comment garantir les droits des auteurs dans cette nouvelle constellation? Seule une politique culturelle coordonnée et cohérente au niveau national peut répondre à ces questions, comme à des dizaines d’autres d’ailleurs.

La politique culturelle, tâche primordiale et prioritaire de l’Etat

La politique culturelle est inscrite dans la Constitution fédérale comme l’une des missions de l’Etat. Or, on a l’impression de retrouver dans la Convention de l’UNESCO la réplique de certains articles de la Constitution, pour ne pas dire un calque. Ainsi, le but de la Confédération est de favoriser la prospérité commune, le développement durable, la cohésion interne et la diversité culturelle. Ce n’est pas seulement la place privilégiée accordée à la diversité culturelle qui est révélatrice, mais aussi l’intégration de cette dimension dans un contexte consacré à la qualité de vie, à l’orientation vers l’avenir et à l’identité.

Le lien établi ici entre prospérité et diversité culturelle saute aux yeux. Le constat d’une interdépendance entre le développement durable et la richesse du paysage culturel peut surprendre, mais n’en reste pas moins significatif. Seul un environnement culturel stimulant et varié ouvre, pour les habitants de ce pays, des perspectives de développement prometteuses, imprégnées d’un esprit novateur et réalisées avec confiance, flexibilité et détermination.

La diversité renforce la cohésion

De son côté, le développement renforce l’identité. Diversité et cohésion ne sont donc pas antinomiques. L’expression «cohésion interne» indique à l’évidence la conscience d’avoir affaire à des énergies multiples, qu’il faut réunir. L’harmonie n’est pas l’uniformité et, dans le contexte spécifique de la Suisse, la diversité culturelle concourt à créer cohésion et conscience de soi: notre identité nationale est portée par une culture des différences. C’est là une contribution déterminante de la vie culturelle suisse à l’intégration, aujourd’hui l’une des premières priorités de l’Etat.

Dans son acception originelle, l’intégration fait penser à une entité plus grande ou à une fusion, mais elle évoque aussi le rétablissement, la complémentarité et la réactivation. L’intégration est toujours un processus innovant. Il ne s’agit pas uniquement d’incorporer du nouveau dans de l’existant par voie d’assimilation, mais bien de compléter et d’enrichir pour faire émerger du nouveau. L’intégration demande des options ouvertes dans ce qui est expérimenté et bien connu, mais aussi dans ce qui est nouveau et étranger. Le processus d’intégration ne s’arrête pas à l’incorporation, il doit être entretenu par tous les participants pour maintenir et vivifier la nouveauté et la vitalité de la grande entité.

Intégration rime avec participation

L’intégration sans participation est vouée à l’échec. Seule la participation de tous à la grande entité garantit la cohésion. Cela est vrai pour une confédération d’Etats comme pour un quatuor à cordes. À la base de la participation, il y a l’échange. Le dialogue, forme privilégiée sur laquelle repose la création culturelle et artistique, fait de la vie culturelle un parfait terrain d’apprentissage où l’on s’initie aux processus participatifs, par définition intégrateurs.

En plus de la diversité culturelle, l’article constitutionnel sur les buts de la Confédération stipule l’engagement de notre pays en faveur de l’égalité des chances, de la conservation durable des ressources naturelles et d’un ordre international juste et pacifique. Une première indication décisive est ainsi donnée quant aux différents domaines politiques qui ont à voir avec la politique culturelle: l’éducation, l’environnement, le social, et les relations avec l’étranger.

Cette énumération montre combien il est complexe de développer une stratégie de politique culturelle. La complexité ne réside pas seulement dans la mise en réseau, elle se situe aussi dans la multitude et la diversité des expressions culturelles. Rien de surprenant dès lors à ce que la Constitution réserve un article spécifique à une forme d’art particulière: le cinéma.

Cet article stipule que la Confédération a pour mission de promouvoir la production et la culture cinématographique suisse. Le parallèle établi entre la culture et la production renvoie au principe selon lequel la promotion de la culture suppose toujours aussi le soutien à la création. En outre, lorsque l’article mentionne le droit de la Confédération de légiférer pour encourager la production cinématographique, il y associe deux conditions: la variété et la qualité. La promotion de la diversité et donc indissociable de l’exigence de qualité.

La concertation et les échanges sont les deux piliers de la politique culturelle

Il n’en va pas autrement des expressions culturelles dont traite la Convention de l’UNESCO. Leur qualité ne se mesure pas à la seule aune de l’originalité, de l’esthétisme ou de la dextérité, mais aussi à leur aptitude à révéler la chose commune dans l’unicité de l’œuvre. Lorsque je m’exprime, c’est pour me faire comprendre, pour susciter un échange. La Constitution entend garantir ce dialogue par delà les frontières linguistiques: «la Confédération et les cantons encouragent la compréhension et les échanges entre les communautés linguistiques».

Se faire comprendre implique tout à la fois la conscience de soi, l’image de soi et la compréhension des autres. Se faire comprendre est un prérequis de l’échange qui, seul, est à même de donner à la société la possibilité de se survivre et de se développer. En encourageant la compréhension et les échanges entre les communautés linguistiques, la Constitution intègre deux dimensions d’une importance capitale pour la diversité et pour la définition des politiques culturelles et éducatives.

Malgré l’importance grandissante de la communication non verbale, la langue joue le premier rôle en matière de compréhension et d’échange. Sous sa forme écrite, en particulier, elle rend l’échange possible en faisant fi du temps, de l’espace et des frontières sociales. Il en va des langues comme de la culture: il faut cultiver celles que nous possédons pour appréhender celles des autres.

Les langues sont des «incarnations de la pensée»; elles reflètent des «modes de raisonnement» et des «culture du savoir» qui leur sont propres. L’utilisation de l’anglais comme langue véhiculaire dans les milieux scientifiques conduit à une perte d’ancrage dans la réalité et de générosité intellectuelle («Verlust von Welthaltigkeit und gedanklicher Generosität»), affirme l’historien des sciences Michael Hagner.

Cette réflexion fait écho à la constatation de l’écrivain Peter Hack, qui décrit les différents genres artistiques comme autant de fenêtres ouvertes sur le monde. Chacune offre une vue différente. Quand l’une d’elles disparaît, c’est un certain regard sur le monde qui meurt.

La diversité culturelle se vit dans le plurilinguisme

Si elle ne garantit pas la pérennité de ses langues nationales et de ses dialectes régionaux, la Suisse risque de perdre des pans entiers de sa paginan du monde. Les langues nationales sont l’outil le plus fin pour capter les cultures d’un pays et les développer à travers le débat. La pratique scientifique et artistique montre qu’il faut maîtriser une discipline avant de pouvoir passer à la transdisciplinarité. Il en va de même pour l’acquisition de la langue – sauf pour les sujets exceptionnellement doués. L’encouragement de la langue première est primordial pour la participation à la vie sociétale et pour l’apprentissage de la pensée abstraite.

L’encouragement de la pratique des langues dans un contexte national, tel qu’il est prévu par la Constitution, notamment dans une perspective d’échange, représente donc une contribution majeure à la cohésion et à la promotion de la diversité des expressions culturelles. La diversité culturelle se vit dans le multilinguisme. Il vaut par ailleurs la peine de pousser la réflexion sur l’acquisition d’une compétence langagière dans ce qu’il est convenu d’appeler une cinquième langue nationale, à savoir la langue des communautés linguistiques des migrants. L’objectif est de faire entrer cette réflexion dans des concepts de «politique linguistique». Il s’agit là d’une complication, mais aussi d’un enrichissement. Mais les concepts innovants en la matière pourraient bien, rétroactivement, s’avérer fructueux pour le maniement des langues officielles traditionnelles.

L’apprentissage de l’anglais, plutôt que d’une autre langue étrangère, occupe aujourd’hui une place particulière compte tenu de l’importance de cette langue dans les échanges internationaux comme dans les milieux politiques, économiques et scientifiques. Reste à savoir si la maîtrise de cette langue «universelle» donne effectivement accès au monde entier. La liberté que donne l’allongement de la scolarité du fait de la scolarisation précoce ne pourrait-elle pas appeler de meilleures solutions que celle d’un apprentissage précoce, commencé sous des auspices peu favorables?

Passerelles entre le passé et l’avenir

Apprendre une langue, c’est se donner les moyens de répondre aux besoins de la vie quotidienne. Mais cela peut être bien davantage si l’on y ajoute la dimension littéraire qui, seule, permet d’appréhender les richesses et les nuances des diverses cultures. C’est pourquoi il faut aider les élèves à identifier les diverses formes et traditions littéraires, les sensibiliser aux contenus des œuvres et aux éléments qu’ils privilégient, leur faire prendre conscience du travail des auteurs et de la nécessité de respecter leurs droits. C’est ainsi qu’ils découvriront, ressentiront et apprécieront la diversité des cultures linguistiques.

Les bibliothèques sont des instruments importants de protection et de promotion de la diversité culturelle en général, des langues en particulier. Elles sont en effet à la fois des lieux d’archivage et de documentation, des lieux d’information et de formation, et des espaces de motivation et d’échanges. Leur rôle reste néanmoins souvent sous-évalué au niveau de la politique éducative et culturelle. C’est pourquoi leur transformation en médiathèques et la promotion de leur utilisation mériteraient davantage d’encouragements et de soutiens. A défaut, comment peuvent-elles continuer d’assurer leur fonction de passerelle, face à la pensée alphanumérique et aux nouvelles formes de communication visuelle et scénique?

Les institutions de conservation de la mémoire ont aujourd’hui pour mandat de stocker aussi bien les productions traditionnelles que celles générés par ordinateur, tout en répondant aux exigences des médias traditionnels et des nouveaux médias. Remplir ce mandat de manière satisfaisante est un défi qu’elles ne peuvent relever qu’avec un soutien renforcé des pouvoirs publics. Le mandat de prestation des musées intègre désormais les missions, étroitement imbriquées, de conservation, de transmission et promotion des œuvres du passé et de la création contemporaine. Cela en fait les meilleurs forums possibles pour la politique culturelle et la politique éducative – au sens le plus large du terme. La politique des musées est un thème de la plus haute importance pour la politique culturelle nationale.

La formation culturelle a sa place dans les programmes d’éducation

L’article constitutionnel relatif à la culture charge la Confédération de promouvoir les activités culturelles présentant un intérêt national et d’encourager l’expression artistique et musicale, en particulier par la promotion de la formation. Il précise que, dans l’accomplissement de ses tâches, la Confédération tient compte de la diversité culturelle et linguistique du pays. Le législateur met ainsi en évidence le fait que seuls les citoyens qui disposent de la formation, de l’information et des compétences linguistiques adéquates sont à même de participer aux échanges et à la communication.

Il convient de rester fidèle – beaucoup plus qu’on ne le fait généralement aujourd’hui – à l’idée selon laquelle l’expression verbale, l’apprentissage de la lecture et la promotion de la lecture d’œuvres littéraires sont des processus déterminants dans la formation de l’esprit. Il faut également renforcer le statut de l’enseignement de la musique et du dessin. L’éducation culturelle et artistique doit trouver sa place dans tous les programmes, pour tous les groupes d’âges, depuis les classes enfantines jusqu’à la formation continue.

Puisque l’école a le mandat – formulé de manière généralisatrice – d’une part, d’éveiller le goût de la recherche et de former un regard différencié, d’autre part, de favoriser une autonomie allant de pair avec des compétences sociales, les nombreuses ressources qu’offrent la culture et l’art, pertinentes tant pour l’analytique et le cognitif que pour la pratique, devraient être systématiquement utilisées. Il ne s’agit évidemment pas d’introduire dans les programmes une multitude de disciplines artistiques, mais de développer par exemple, dans une approche interdisciplinaire, des compétences élargies dans l’utilisation et le «décryptage» des médias. Les échanges interculturels sont ici aussi important que «l’apprentissage global», qui favorise la compréhension des connexions supranationales.

Dans cette démarche, les établissements de formation ne doivent pas être livrés à eux-mêmes. Il faut que les médias, les radios et les télépaginans – pour le moins ceux qui bénéficient de financements publics – ne réduisent pas dans leur offre le multiculturalisme à la juxtaposition aléatoire de produits de consommation prétendument culturels, mais s’emploient à développer des programmes cohérents qui permettent l’acquisition et le développement de connaissances, stimulent l’intérêt pour les autres cultures et aiguisent l’esprit critique et le discernement.

Il existe déjà une charte de la musique suisse. Conclue entre les créateurs de musique suisses et la Société suisse de radiodiffusion et télépaginan, elle porte sur la promotion de la présence de la musique suisse dans les programmes musicaux. Trois objectifs restent concrétiser: l’adhésion de fournisseurs privés à la Charte; une collaboration concrète avec les écoles primaires et secondaires; l’instauration de chartes similaires pour d’autres domaines culturels. Le «Pacte de l’audiovisuel», signé par la télépaginan et par les associations du cinéma, vise à favoriser la production audiovisuelle suisse. Il est exemplaire et mérite d’être mentionné ici.

L’école, garante de l’égalité des chances

La formation passe moins par des déclarations officielles que par des expériences. A la maison, dans l’environnement social ou à l’école, nous apprenons plus par imprégnation que par modelage. Et cette imprégnation est toujours aussi de nature culturelle. Plus la mission des institutions éducatives s’étend, notamment dans une perspective de politique culturelle, plus leur influence sur les élèves et les étudiants est déterminante. Ces institutions sont perçues comme des modèles. Il doit dès lors y avoir concordance entre leur fonctionnement et le contenu des programmes.

Cela signifie que les structures de ces institutions doivent être conçues comme des structures d’apprentissage, des structures qui permettent de faire et de vivre des expériences qui contribuent à atteindre les objectifs de formation. Au milieu de tous ces défis, le discours des enseignants nous fait avancer mieux et plus vite que les décisions des technocrates et les ordonnances. C’est pourquoi les enseignants doivent être encouragés et soutenus, dans leur formation d’abord, dans leur engagement professionnel ensuite, pour être à même d’adopter des lignes de conduite et de défendre des positions utiles aux enfants et aux jeunes dont ils ont la charge. Ils sont tenus de transmettre une image de l’être humain qui prend ses racines et se développe dans la diversité des expressions culturelles.

Une formation qui garantit l’égalité des chances est le préalable indispensable à l’accès à la vie culturelle. Notre vie culturelle est fondée sur cette accessibilité, c’est ce qui la légitime. En Suisse, l’engagement en faveur de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles n’est pas seulement ancré dans la Constitution; il se nourrit d’une diversité culturelle qui existe déjà dans les faits.

La Suisse vit sa diversité culturelle

Cette diversité s’exprime dans tous les domaines de la vie, dans les offres des institutions culturelles, dans les filières professionnelles des créateurs culturels, dans le réseau extraordinairement dense des associations culturelles d’amateurs, et dans vaste palette d’associations culturelles de la société civile. Elle bénéficie du soutien d’une multitude d’instances de promotion culturelle aux niveaux fédéral, cantonal et communal et d’une mosaïque de fondations, grandes et petites, qui relèvent du secteur privé.

La Confédération peut et doit partager la responsabilité de la politique culturelle nationale avec les communes, les cantons et les particuliers. Mais le développement de la stratégie, l’ensemble des échanges culturels, le travail législatif, la dimension de politique extérieure et l’évaluation des résultats ne peuvent ni se partager ni se déléguer. Il faut décharger les organisations qui sont «sur le terrain». On peut espérer que le débat actuel autour de la loi sur l’encouragement de la culture va aboutir à l’adoption de principes qui, d’une part, assureront l’entretien de notre riche paysage culturel et soutiendront les instruments de politique culturelle existants, et qui, d’autre part, jetteront les bases d’une politique culturelle globale, structurée et durable.

Jusqu’ici, le débat ne n’a pas suffisamment rendu justice à la compétence et à l’originalité de la Fondation Pro Helvetia. La promotion, les échanges et la communication constituent l’essentiel de sa mission, alors que son atout majeur est son indépendance politique. Pour faire face aux défis actuels et futurs, elle a besoin d’un sérieux renforcement de sa position et de ressources financières accrues.

Le champ d’application de la politique culturelle dans la politique intérieure

L’efficacité d’une politique culturelle suisse d’envergure, intégrant la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, dépend en premier lieu de son champ d’application. Du point de vue de la politique intérieure, il faut, d’emblée, rappeler quelques principes:

  • La promotion de la culture doit être présente dans toutes les régions du pays. Il incombe à la Confédération d'accorder un soutien particulier aux régions qui sont moins bien équipées pour un engagement culturel.
  • Les concepts de politique culturelle doivent s'adresser à toutes les générations. Dans une perspective d'avenir, il faut penser particulièrement à la jeunesse, mais étant donné l'évolution démographique, il faut prêter une attention accrue aux personnes âgées qui ne sont plus en activité.
  • La politique culturelle s'adresse à toutes les couches sociales. L'élargissement du spectre culturel consécutif aux migrations appelle une stratégie différenciée, et l'augmentation des lacunes dans les compétences en lecture et en écriture exige des mesures d'urgence.
  • La politique culturelle doit, à tous les niveaux, être en résonance avec la politique de la formation. Il faut également porter une attention accrue à la formation et au perfection­nement culturels des formateurs et des formatrices.
  • La politique culturelle concerne la promotion de la création culturelle, quelle qu'en soit la dimension – du grand projet à la production par créneaux –, dans tous les genres et dans toutes les disciplines. Les projets novateurs et interdisciplinaires ont besoin d'une attention particulière.
  • La politique culturelle doit promouvoir tous les maillons de la chaîne de production, à savoir la création, la réalisation, la présentation et la réception mais aussi la réflexion critique et la controverse culturelle dans le grand public.
Politique médiatique et informations culturelles

Précisément dans le domaine de la politique médiatique, il faut parallèlement prendre de petites mesures sectorielles et effectuer des interventions de fond pour contrecarrer le déclin de la presse, la monopolisation de la formation d’opinion, et la fin du débat culturel public. Tous les fournisseurs qui bénéficient de la manne de la redevance, devraient être tenus de remplir un mandat culturel comparable à celui des stations de radio et de télépaginan de droit public. Les stations de télépaginan financées par la redevance de réception, devraient, sur la base des concessions, avoir l’obligation de donner une meilleure visibilité aux thèmes culturels, pendant les heures de grande écoute (et dans des créneaux tenant compte de la problématique des genres). Il faut avoir le courage de prendre des risques et faire preuve de persévérance pour trouver des solutions innovantes qui attireront l’attention du grand public sur la diversité culturelle.

Les stratégies d’envergure sont, elles aussi, urgentes. La situation s’est détériorée. Les concentrations qui agitent le paysage médiatique nuisent à la diversité culturelle; la liquidation de grandes maisons d’édition sape les bases de la création littéraire, le déclin de plus en plus rapide des reportages culturels dans la presse – imprimée ou autre – remet en question le journalisme culturel.

Le débat public sur la culture, qui représente un maillon important de la «chaîne culturelle de création de richesse», ne disposera bientôt plus ni de lieux, ni d’instruments, ni du personnel adéquat. C’est un point sur lequel il est urgent d’agir, dans toutes les régions du pays.

Exigences envers les créateurs culturels

Il appartient à la politique intérieure de traiter avec les créateurs culturels. Leur apport à la mise en œuvre de la Convention est déterminant. Mais du fait du multiculturalisme et des nouveaux champs culturels ouverts par la digitalisation, il est nécessaire d’élargir le cercle de leurs représentants. Les efforts que les créateurs déploient d’ores et déjà pour sauvegarder la diversité des expressions culturelles doivent s’étendre à la diffusion. Il est du devoir des artistes «indépendants» d’être au premier rang lorsqu’il s’agit de lutter pour le libre accès à l’art. C’est une dimension qu’ils doivent intégrer dans leur activité créatrice.

Développer des modèles participatifs dans la culture et le travail artistique est indispensable. Il n’est pas acceptable que des pans entiers de la population soient exclus de secteurs hautement appréciés de la vie culturelle – comme ils sont déjà exclus du développement économique. La hiérarchie actuelle des formes culturelles est à remettre en question. On ne saurait tolérer plus longtemps l’allégation – hélas encore courante – selon laquelle il y aurait une disparité de valeur entre les œuvres de la «haute culture» européenne et celle des autres cultures.

La représentation inéquitable de certaines expressions culturelles conduit, dans la pratique, à exclure certains groupes de la population de la vie culturelle. C’est un état de fait auquel il faut remédier. Chacun doit comprendre que la promotion de la culture participe de l’instauration d’une société qui affirme sa volonté de démocratie. Cela n’est possible que si la promotion culturelle accepte que «l’amateur» mérite, lui aussi, d’être encouragé et reconnaît la nécessité de porter une attention particulière au segment sociétal constitué par les personnes culturellement marginalisées. Les créateurs sont invités à s’exprimer sur ce sujet.

Les créateurs culturels ont leur place dans les enceintes de politique culturelle

Inversement, il faut que l’expertise des créateurs culturels soit entendue dans les organisations et dans les structures de politique culturelle. Jusqu’ici, le débat parlementaire sur la loi sur l’encouragement de la culture a rejeté l’idée de créer un Conseil de la culture. Il n’en est pas moins évident que l’élaboration d’une stratégie de politique culturelle ne peut pas être l’affaire de l’administration, du Parlement ou de l’exécutif. Elle doit d’abord faire l’objet de discussion entre spécialistes, c’est à dire les créateurs et les diffuseurs culturels.

Des instances spécialisées, réunies à cet effet, devraient étudier de nouveaux systèmes de promotion de la culture, se pencher sur les implications de l’internet en matière de politique culturelle et mettre leur expertise au service d’une promotion flexible des projets. Il faudra toutefois, dans ce contexte, veiller à maintenir la collaboration avec l’Administration et avec les organisations de promotion culturelle du secteur privé. Les instances décisionnelles et les organes de contrôle de la promotion culturelle doivent être représentatives du paysage multiculturel, des nouveaux modes d’expression et de la participation des amateurs à toutes les formes d’expression culturelle.

Critères de qualité de la promotion de la culture

Ces instances auront aussi pour mission de définir les champs d’intervention de la promotion culturelle et de les actualiser en permanence. Le mandat de prestation des institutions concernées doit être examiné et, chaque fois que cela est possible, être élargi pour aller au-delà des catégories habituelles et des domaines traditionnels. La promotion de la diversité doit être reconnue comme l’un des critères de qualité, tout comme, dans la même approche, le caractère expérimental d’un projet et l’empreinte spécifique de l’auteur. A l’heure de «l’événementiel», il faut aussi repenser la durabilité et le souci d’instaurer des mesures de transmission et de diffusion qui aient des chances de connaître le succès.

Tous ces critères – notamment les approches participatives, interculturelles et orientées vers la formation – aiguisent l’œil de l’évaluateur. Il faut les comprendre comme d’utiles indicateurs et non pas comme les dispositions impératives de règles rigides à caractère exclusif.

La promotion de la culture n’est pas guidée par des recueils de normes et de règles. Elle se déploie dans des domaines qui prennent en compte la diversité des initiatives, auxquelles elle accorde toujours le statut de précédent. Toutefois, certains critères – tels le respect des droits d’auteur et la sécurité sociale des créateurs culturels – doivent entrer dans une sorte de «canon» de la promotion culturelle.

La politique culturelle a besoin de bases scientifiques

Qu’il s’agisse d’instances directement engagées dans la promotion culturelle ou d’instances qui incluent le développement de stratégies dans leur mandat de prestations, qu’il s’agisse de l’administration, à qui il est demandé d’avoir la haute main sur l’organisation de la vie culturelle, ou d’organes de contrôle et d’évaluation, ou qu’il s’agisse du Parlement : tous les acteurs de la politique culturelle suisse ont besoin d’un accompagnement scientifique, car c’est lui qui fourni le socle solide sur lequel se construit la prise de décision.

  • Les études scientifiques sont nécessaires pour analyser les incidences potentielles sur la diversité des expressions culturelles des décisions prises dans des domaines politiques éloignés de la culture. Inversement: quelles questions à orientation culturelle faudrait-il introduire dans des domaines éloignés de la culture? La question de la compatibilité culturelle doit devenir systématique.
  • Les activités menées jusqu'ici dans le cadre des échanges culturels entre la Suisse et l'étranger devraient être analysées sous l'angle spécifique de la protection et de la promo­tion de la diversité des expressions culturelles. Cela requiert, entre autre, des données statistiques.
  • La recherche en sciences humaines axée sur l'approche historico-systémique aurait également besoin d'être interpellée par la politique culturelle: on pourrait suggérer aux sciences de l'art de prendre davantage appui, en matière de pertinence culturelle, sur les bases qui, d'une part, intègrent la notion artistique dans le concept de recherche et, d'autre part, accordent une place accrue à la dimension socio-culturelle.
  • La recherche axée sur la pratique doit renforcer sa collaboration avec les lieux de mémoire. Il y a une multitude de problèmes à résoudre dans les domaines de la logistique et de la technologie, pour jeter les bases d'une nouvelle «politique de la mémoire».

En contrepartie, il serait opportun d'introduire la dimension de politique culturelle dans la politique scientifique. Premièrement, il faut préserver la diversité dans le domaine académique: on observe dans les sciences humaines la disparition de certains domaines de recherche spécialisés. Deuxièmement, la société doit, dans son ensemble, être rendue apte à appréhender les développements des sciences de la nature. Aux craintes diffuses et aux réactions non contrôlées il faut pouvoir opposer un effort de transparence ainsi qu'une communication objective et compréhensible, étayés par un débat public sur l'éthique. C'est l'affaire de la politique scientifique, mais aussi de la politique culturelle. Les offices fédéraux impliqués doivent, dans le cadre de recherches sectorielles, demander le soutien scientifique auquel ils ont droit.

Des statistiques complètes sont les instruments obligés de la politique culturelle

Pour le travail scientifique, pour l’accompagnement de haut niveau et pour le pilotage de la politique culturelle, il est indispensable d’avoir des données statistiques complètes. Le retard accumulé est grand, malgré les efforts consentis actuellement dans tous les secteurs – de l’économie créative aux instruments à vent en passant par le théâtre amateur.

La statistique culturelle doit prendre en considération les différentes expressions artistiques et poser des questions qui vont au-delà des aspects purement économiques et quantitatifs. Les mandats de prestations ne doivent pas provenir exclusivement de l’administration. Les thèmes doivent aussi émaner des spécialistes qui observent l’évolution de la vie culturelle.

Les études scientifiques et statistiques sont la base sur laquelle se développent les stratégies et s’effectuent les évaluations. Dans ce domaine, on constate des carences en particulier dans un secteur qui n’a pas encore été mentionné, celui de la politique culturelle extérieure, qui est une composante de la politique culturelle nationale. Les lacunes sont importantes en ce qui concerne l’évaluation et l’analyse des divers programmes culturels et l’utilisation des ressources provenant de différents fonds. Dans la pratique politique, l’importance des échanges culturels dans nos relations extérieures doit être réaffirmée.

Les échanges culturels occupent une place de premier plan dans la politique extérieure

L’agenda de la politique extérieure comprend des programmes culturels concrets, des aides financières et des mesures de politique culturelle. Le dialogue et les échanges interculturel contribuent à la compréhension entre les peuples et au maintien de la paix. Les échanges avec les pays en développement montrent clairement que la culture n’est pas un luxe. Dans une perspective de développement et de sauvegarde du patrimoine, la culture peut être un puissant instrument de lutte contre la pauvreté. La vie culturelle peut aussi s’avérer directement efficace en tant que facteur économique. Il entre dans la mission de la politique culturelle de promouvoir la diffusion en Suisse de produits culturels en provenance de pays en développement, de stimuler la demande pour ces produits, et de soutenir dans les pays partenaires les infrastructures et les organisations qui proposent des formations académiques.

La dimension internationale de la politique culturelle est également indispensable pour les créateurs suisses. Elle leur permet, par exemple, de participer aux programmes culturels européens. Les échanges bilatéraux évitent à la vie culturelle suisse de se renfermer sur elle-même, de se marginaliser. Ils ouvrent des perspectives, permettent de prendre part au dialogue mondial et d’être au fait des derniers développements. La politique culturelle doit stimuler les échanges culturels avec l’étranger, en accordant une attention particulière d’une part aux domaines innovants et expérimentaux, d’autre part à la production culturelle de populations minoritaires, souvent isolées, auxquelles le marché globalisé, mû par des intérêts purement commerciaux, n’offre aucun débouché.

La politique culturelle dans le réseau législatif et économique

Il est évident que, dans les échanges internationaux, la politique culturelle se définit en termes d’interdépendance. Lorsque des négociations bilatérales ou multilatérales se concluent par un accord économique international dans lequel des acteurs suisses sont parties prenantes, il appartient à une politique culturelle engagée de défendre le point de vue selon lequel les valeurs culturelles ne sont pas négociables en termes économiques.

Les échanges culturels internationaux demandent des allègements à l’importation pour les productions culturelles et des accords douaniers favorables. Les doubles financements doivent être autorisés, en tant que mesures incitatives relevant de critères et ayant des finalités diverses. La question des visas est également à reconsidérer sous l’angle d’une promotion de la mobilité. Les voyages culturels entre la Suisse et l’Afrique ou l’Amérique du Sud, par exemple, ont à pâtir de formalités bureaucratiques fastidieuses, longues, coûteuses et dans certains cas discriminatoires.

Ces détails renvoient au plan des réglementations, des ordonnances et autres questions de législation, qui ont leur importance pour de nombreux aspects de politique culturelle. Toute la législation relative à la communication et à la propriété intellectuelle est fondamentale pour la création culturelle, tout particulièrement sur le plan économique. Elle doit faire l’objet de débats au plan international, sous l’angle spécifique de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Les aspects de la politique culturelle qui relèvent de la politique intérieure ont notamment trait au bâti et à l’aménagement du territoire. Les questions d’impôts et d’assurances peuvent avoir des répercussions sur la politique culturelle: il s’agit, par exemple, d’empêcher que l’introduction d’une nouvelle réglementation de la taxe sur la valeur ajoutée porte préjudice à la vie culturelle; il s’agit aussi de prendre les mesures adéquates pour éviter que les nouvelles dispositions relatives aux primes d’assurances se traduisent par une diminution des budgets des musées.

Une autre mission de la politique culturelle est de créer des conditions favorables à la croissance de l’économie créative, qui est aujourd’hui un facteur économique important. La promotion de la culture génère des coûts, mais sur le long terme, elle paie.

Les investissements mettent un habit de fête aux ressources financières

Il est évident que, à l’instar de la politique culturelle d’envergure que mène la Confédération, la mise en œuvre de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles exige d’importants investissements, notamment financiers.

Le terme investissement signifiait autrefois «mettre en possession d’un fief ou d’une charge», le vêtement endossé à cette occasion symbolisant la dignité ou le pouvoir conféré. L’investissement dans le sens «mettre des capitaux dans une entreprise» remonte au XXe siècle mais conserve la volonté de donner à cette action une image valorisante. Investir dans la protection et dans la promotion de la diversité des expressions culturelles signifie donc que, par la vertu des investissements consentis, les moyens financiers se trouvent parés de prestigieux atours. Le terme «investissement» et dès lors plus pertinent que celui de «subvention», qui désigne une «aide que l’Etat accorde à une entreprise ou à un groupement de personnes, sans obligation de remboursement».

Les investissements dans la culture génèrent des plus-values dans d’innombrables domaines de la vie quotidienne. Ce n’est certes pas vérifiable dans les comptes trimestriels. Pour en percevoir toute la portée, il faut une paginan à moyen et long terme. Les expériences actuelles ne laissent planer aucun doute: les investissements dans la culture sont plus durables que ceux qui injectés dans l’économie au cours des dernières décennies. Investir dans la richesse de la vie culturelle, c’est contribuer au renforcement de la cohésion sociale, une cohésion qui est au cœur de la problématique sociétale d’aujourd’hui.

La diversité culturelle est consubstantielle au bien public

Depuis quelques décennies, l’aptitude à entrer en relation, à être en relation, à assumer ses relations a clairement cédé le pas à la non-relationnalité. Les symboles du statut social, le revenu et la toute-puissance sont les attributs du narcissisme de la génération des actifs, alors que le prestige de la marque, la satisfaction immédiate et la force physique sont les référence des jeunes. La seule relation que les deux groupes d’âges abordent de manière plus ou moins comparable est la position hiérarchique, le «ranking». L’intégration dans un environnement culturel diversifié peut juguler cette tendance au narcissisme.

Emmanuel Kant a parlé du passage de l’intérêt personnel à l’intérêt d’autrui et finalement à l’intérêt général. On trouve aussi dans ses considérations pédagogiques un concept plus simple que «l’intérêt général»: le bien public. À l’heure de la non-relationnalité, il est bon de rappeler ce mot quasi obsolète. La diversité des expressions culturelles est consubstantielle au bien public.

Le dernier mot revient à l’économie. L’économiste John Stuart Mill écrivait il y a 150 ans dans son essai sur la liberté: «Ce n’est pas en noyant dans l’uniformité tout ce qu’il y a d’individuel chez les hommes, mais en le cultivant et en le développant – dans les limites imposées par les droits et les intérêts d’autrui – que l’être humain devient un noble et bel objet de contemplation… à mesure que se développe son individualité, chacun acquiert plus de valeur à ses propres yeux et devient par conséquent mieux à même d’en acquérir davantage aux yeux des autres.»

Zurich, août 2009

Texte original: allemand [Traduction non-autorisée, à revoir,]